Théodore Gosselin dit Lenotre
I. Le magicien du temps passé : G. Lenotre
par Jean-Pierre Gautier
1. Avant propos TEST
Il est des lieux où souffle l’esprit écrivait Barrès au commencement de « La colline inspirée ». S’il en est un aussi qui peut prétendre à ce privilège, c’est bien le château de Pépinville à Richemont (Moselle), à proximité de Metz. Il devait en effet inspirer celui qui y vit le jour le 7 octobre de l’an 1855, Napoleon III regnant. Il n’est pas donné à tout le monde d’entamer son parcours terrestre dans un château mais il faut croire que cette empreinte initiale ne fut pas pour rien dans les choîx futurs du nouveau né qui allait faire du passé une véritable résurrection.
Louis-Léon Théodore Gosselin dit G. Lenôtre allait donc comme Jeanne d’Arc quitter cette province de Lorraine qui nous est si chère et que les malheurs du temps allaient séparer de nous pendant un demi-siècle.
En 1855, nous n’en étions pas là et le Second Empire était à son apogée. La brillante campagne de Crimée et la prise de Sébastopol un mois avant la naissance de Lenotre, le 8 septembre, la naissance du Prince Impérial, laissaient présager un avenir radieux.
Malheureusement, non pas tant à cause des prétendues erreurs du régime, mais surtout à cause d’une subversion intérieure qui poussait à la guerre d’un côté et refusait les crédits nécessaires de l’autre, nous allions subir une défaite imméritée. Les mêmes causes entraînant les mêmes effets, la république n° 3 allait aussi trouver à Sedan les mêmes ennemis et les mêmes déboires en plus grave encore.
La famille de Lenôtre choisit donc la France après la fatale annexion et vint s’établir à Paris. Il fit ses étudés chez les Jésuites et on sait la qualité de l’enseignement des Bons Pères qui devaient laisser à leur élève des bases très solides à partir desquelles il allait construire une oeuvre considérable. Considérable en effet, non seulement en raison du champ historique choisi particulièrement sensible à son époque et qui l’est toujours mais surtout par son approche nouvelle, cette induction remontant du détail particulier au plan général et qui par bien des aspects jouxte la sociologie. Considérable aussi par son approche nouvelle de la connaissance historique moins dogmatique et plus humaine.
Avant lui, il faut bien reconnaître que la lecture de l’histoire était souvent particulièrement indigeste, et Michelet mis à part, les Augustin Thierry, Victor Duruy et consorts n’étaient pas d’un abord facile. On lui reprochera la vulgarisation et ce reproche s’adressera aussi à des historiens plus récents comme le regretté André Castelot ou Alain Decaux. Mais au delà des querelles d’école il est une évidence plus visible en ce qui concerne le théâtre ou le cinéma, le choix du public.
Dans ce domaine il n’y a qu’a voir les couvertures de ses livres pour avoir une idée des multiples rééditions de ses ouvrages.
Je ne pense pas trahir la pensée de Pierre Miquel en affirmant qu’il n’existe pas de petite ou de grande Histoire, mais des modalités diverses pour l’appréhender. Et c’est cette volonté louable de connaître son passé pour mieux comprendre le temps présent qui mobilise de la même façon les grands historiens et les modestes chercheurs. Cette intentionnalité se résume fort bien dans la devise d’un autre historien. Lorrain lui-aussi, M Jacques Hamann : « Va pour l’Histoire ! ».
2. La Méthode
Même pour les personnes cultivées, Lenôtre est souvent considéré comme un écrivain populaire, vulgarisateur, en un mot de second ordre. Deux raisons principales ont contribué à accréditer cette idée toute faite :
D’abord. même si l’Académie Française voulut l’admettre en son sein, il n’en reste pas moins que Lenôtre, même si ses travaux valaient largement ceux des clercs officiels, n’était pas de leur tribu et il dut essuyer les sarcasmes de ceux qui n’aiment pas qu’on pénètre leur pré carré sans montrer patte blanche.
Or, et c’est là la deuxième raison, Lenôtre à défaut de patte blanche, avait des dilections particulières qui transparaissent dans son oeuvre et qui n’allaient pas dans le sens de ceux qui admirent les assassins du moment qu’ils soient révolutionnaires, les larrons progressistes, et les moutons de Panurge hurlant avec eux.
Un de ses premiers travaux : « La guillotine sous la Terreur » désigne clairement les misérables instigateurs ou exécutants de crimes dont on attend encore la repentance.
Deux périodes différentes : Dans son répertoire des auteurs de manuels scolaires et de livres de vulgarisation historique de langue Française , Christian Amalvi précise :
- « Les ouvrages qu’il publie avant 1918, sont de gros volumes fondés sur des documents inédits, coûtent relativement cher et s’adressent en priorité à une bourgeoisie conservatrice et à une aristocratie nostalgique de l’Ancien Régime ».
- « En revanche après 1920, l’oeuvre de Georges Lenôtre et notamment ses biographies s’intègre très bien à des collections bon marché publiées à Paris chez Flammarion, Grasset, Hachette et Mame, entre autres qui vise un public beaucoup plus large ».
3. Les centres d’intérêt
Deux périodes ont principalement retenu l’attention de Lenôlre ; d’abord la période horrible désignée généralement par le terme de révolution et que Crétinau-Joly avait justement dénommé par la métaphore de trop fameuse catastrophe et aussi l’Empire, autrement sympathique.
Il va s’intéresser au champ familial de certains personnages de la révolution en particulier les veuves, de Marat, de Camille Desmoulins, de Simon etc … Il portera aussi son intérêt vers les conspirateurs Royalistes comme le chevalier de Maison Rouge, le Marquis de la Rouerie, le baron de Batz, Georges Cadoudal.
Il va étudier les deux versants de la révolution, l’admirable et parfois Sainte Famille Royale dont « La captivité et la mort de la Reine Marie-Antoinette », La fille de Louis XVI, Le Roi Louis XVII et l’énigme du Temple et aussi et surtout leurs derniers fidèles : Monsieur de Charrette, la Mirlitantouille, les compagnons de Jéhu etc … Mais aussi, mais hélas : Le tribunal révolutionnaire, les noyades de Nantes, le Jardin de Picpus etc …
Il a ausssi beaucoup travaillé sur la tragédie de Varennes et à même écrit une pièce sur le sujet avec Henri Lavedan.
4. La comédie humaine
Balzac dans sa célèbre comédie humaine aux multiples facettes a créé des personnages imaginaires plus ou moins en concordance avec les réalités de son temps. Lenôtre, par contre n’a rien imaginé mais le fruit de ses minutieuses recherches sollicite notre propre imagination.
On voit défiler dans ses œuvres les personnages de la révolution nobles et gueux, assassins ou victimes. Aussi les soldats de l’Empereur Napoléon et à travers eux un hommage implicite. On voit aussi le fatum antique, le destin qui joue avec les hommes et Lenôtre aime bien souligner les situations d’exceptions et souvent paradoxales. Ainsi le général Cambronne qui sur ses fins épouse une Anglaise et se met à la tapisserie !
« Les amis, les admirateurs qui se présentaient chez lui, le trouvaient, non sans surprise, penché sur un canevas, tirant l’aiguille et fort absorbé par sa tapisserie; et c’était une impression peu banale de voir pacifiquement compter ses points et assortir ses laines, ce terrible batailleur dont le nom était inscrit au testament de l’Empereur et gravé sur l’Arc de Triomphe » (Cambronne amoureux).
Au temps de la trop fameuse catastrophe on s’ennuyait ferme à Paris :
« Pas moyen d’aller au spectacle pour ceux qui ne veulent pas prendre le théâtre pour une église, car à la fin , il faut, dit-on, tous se mettre à genoux au parterre comme aux loges, pour y entonner en chorus un hymne à la liberté que l’on chante en faux bourdon » (Lettres d’Aristocrates).
Quant aux plaisirs de la table ils sont gâchés par la conjoncture :
« Hier, j’ai diné chez Beaujour et me voilà à côté d’un illuminé qui a prédit au feu Roi et à Madame de Lamballe tout ce qui est arrivé depuis, et qui m’assure qu’il est le dernier sauvé des massacres de la Force, et qui sait bien qu’il doit être incessamment pendu. Je suis las de quitter des roués pour trouver des pendus ; si dans le diner que je vais faire aujourd’hui, je trouve un fouetté ou un guillotiné, je me condamne à manger tout seul dans ma chambre ». (Lettres d’Aristocrates).
Mais ce n’est pas seulement cette disposition humoristique de Lenôtre, c’est aussi avec bien d’autres qualités non seulement un historien, mais aussi un moraliste qui sait bien souligner la valeur normative de l’enseignement de l’Histoire. Nos actuels bricoleurs de programmes devraient bien s’en inspirer.
En commentant le recueil de lettres que le soldat volontaire Joliclerc écrivit à sa mère au cours de ses campagnes Lenôtre déclare :
« On discute âprement (déjà !) sur les manuels d’Histoire destinés aux écoles primaires. Le voilà, le livre parfait : c’est le recueil de lettres de Joliclerc ; il enseigne à la fois l’amour de la Patrie, la tolérance, le respect du passé, la foi dans l’avenir, le désintéressement, la résignation, le mépris du danger, de la réputation, de l’argent, de la mort. Et cela fut écrit par un paysan de France qui ne se doutait pas bien certainement que son nom serait un jour imprimé » (Un volontaire de l’An II).
5. Le champ relationnel
Dans la liste des correspondances de Lenôtre aux Archives Nationales, on trouvera une quantité d’Historiens, de littérateurs divers, de gens de théâtre, de journalistes etc …
On trouvera ci-après leur liste complète, mais il nous a paru émouvant de contempler et de mieux connaître quelques une de ces ombres chères ayant participé d’une façon ou d’une autre à la vie de Lenôtre.
1. Quelques historiens
Georges Cain
Georges-Jules-Auguste Cain (né à Paris le 16 avril 1856 et mort dans la même ville le 4 mars 1919), est un peintre historique français, et un écrivain qui a puisé son inspiration dans l’histoire de Paris, de ses théâtres et de ses monuments. Il a été conservateur du musée Carnavalet de 1897 à 1919. Il est rare de trouver dans le même individu deux talents exceptionnels, et ce fut bien le cas de Georges Cain, à la fois bon peintre et écrivain du vieux Paris. Il ne pouvait que plaire à Lenôtre.
Ernest Daudet
Ernest Daudet, né à Nîmes le 31 mai 1837 et mort aux Petites-Dalles le 21 aoüt 1921, est un écrivain et journaliste français. Frère aîné d’Alphonse Daudet, il se consacre tout d’abord au commerce selon le souhait de sa famille. Voulant devenir écrivain, il finit par aller à Paris et commence à contribuer à divers journaux parisiens et de province. Parallèlement, il entre comme secrétaire-rédacteur au Sénat. Il publie une trentaine de romans et collabore à de nombreux journaux, souvent sous pseudonyme. Son oeuvre romanesque est considérable et ses travaux historiques couvraient souvent la même période que Lenôtre.
Émile Erckmann et Alexandre Chatrian
Erckmann-Chatrian est le nom sous lequel signaient deux écrivains français : Émile Erckmann et Alexandre Chatrian. Dans leur œuvre, le réalisme rustique, influencé par les conteurs de la Forêt-Noire, se transfigure en une sorte d’épopée populaire. A la différence de Lenotre, les personnages sont inventés mais le contexte de 1814 est bien décrit. On y trouve aussi une incontestable dimension patriotique tempérée toutefois par des considérations humanitaires.
Jacques Chastenet
Après avoir fait la Première guerre Mondiale, il entre dans la diplomatie. 1924 : Il est secrétaire général de la Haute Commission militaire alliée des territoires rhénans. Vers 1929 il devient journaliste et se spécialise dans la politique étrangère. 1931 : Il devient co-directeur du journal Le Temps avec Emile Mireaux. 28 novembre 1942 : En réponse à l’invasion allemande de la zone Sud, les 2 co-directeurs sabordent le journal. 1947 : il est élu à l’ Académie des sciences morales et politiques. 1956 : Il devient membre de l’Académie française.
Mais pour Lenôtre, homme bien élevé, l’essentiel n’est pas dans les relations avec ses contemporains mais avec ces figures disparues qu’il a su si bien nous faire retrouver. Mais cette résurrection passe obligatoirement par les archives et les bibliothèques spécialisées. Cette pratique inhérente au métier d’historien fut aussi celle de Funck-Brentano et nous en avons des preuves grâce à la photographie.
Frantz Funck-Brentano
Frantz Funck-Brentano, né au château de Munsbach (Luxembourg) le 15 iuin 1862 et mort à Montfermeil le 13 juin 1947 est un bibliothécaire et historien français.
Biographie
Très jeune diplômé de la prestigieuse École des chartes, Frantz Funck-Brentano se vit, dès 1885, nommé conservateur à la Bibliothèque de l’Arsenal (dont il ne fut jamais directeur). S’il s’est avant tout intéressé à l’histoire de l’Ancien Régime, c’est parce que cette Bibliothèque, la seconde des trois plus éminentes de Paris, possède l’intégralité des documents constituant le fonds des archives de la Bastille, lequel représente une source inestimable pour l’histoire, politique singulièrement, de l’Ancien Régime, un fonds dont les pièces ont fait l’objet d’un catalogue volumineux parce qu’exhaustif, de la propre main de Frantz Funck-Brentano lorsqu’il y fut conservateur.
La spécificité de ce fonds l’a conduit à s’intéresser à toute l’histoire de l’Ancien Régime sous ses aspects les plus divers : il en étudia aussi bien les institutions que les particularités, ainsi que des personnages et des affaires célèbres dont il a fait le sujet de livres très documentés qui ont remporté de grands succès de librairie.
En 1900, il devint professeur remplaçant au Collège de France, dans la chaire d’Histoire des législations comparées où il traita de la formation des villes dans l’Europe occidentale.
En 1905, il fut désigné comme premier conférencier de la Fédération de l’Alliance française aux États-Unis. Dans le même temps il était chargé par le gouvernement français d’étudier la diffusion de la littérature française aux États-Unis et au Canada, ainsi qu’à Cuba. C’est en cette qualité que le 14 janvier 1905, il parla devant le président Theodore Roosevelt à la Maison Blanche. À son retour, il fut nommé chevalier de la Légion d’honneur.
En 1909, devant les cercles français d’Autriche-Hongrie, à Vienne à Prague et à Budapest, il traita de l’histoire de Paris à travers les âges.
Par la suite, il fut plusieurs fois conférencier de l’Alliance Française, en Hollande, en Angleterre, en Danemark, Suède et Norvège, en Roumanie et en Russie. En 1907, l’Académie des inscriptions et belles-lettres lui décerna l’important prix Berger pour l’ensemble de ses travaux sur l’histoire parisienne.
Élu membre de l’Académie des sciences morales et politiques en 1928, il fut également président de la Société des études historiques. Parallèlement à ses travaux d’érudition, Funck-Brentano mena une carrière littéraire (pièces de théâtre, ouvrages de vulgarisation historique) et journalistique : il collabora notamment à Minerva (revue d’histoire et de critique littéraire nationaliste et monarchiste), à la Revue d’Action Française puis à L’Action Française de Charles Maurras.
L’un de ses fils, Christian Funck-Brentano (1894-1966) compte parmi les fondateurs du journal Le Monde. Un autre, Claude Théophile, né le 27 juillet 1892, qui est sous les drapeaux dès le 11 août 1914, est tué à l’ennemi comme aviateur sur le front des Vosges le 15 février 1916. Sa mémoire est honorée à Pair-et-Grandrupt.
2. Le Monde du théâtre
A l’aube du XXIème siècle, alors que la civilisation commence à disparaître, que la société n’est plus une valeur mais un ensemble hétéroclite il est difficile d’imaginer ce que pouvait être le théâtre de jadis dont les aspects moraux ont totalement disparu autant que le contexte mondain qui l’accompagnait, le tout remplacé trop souvent par des inepties tantôt marmonnées, souvent vociférées par des personnages en haillons et contemplées par des spectateurs guère mieux accoutrés. Plus de décors, plus d’intrigues, plus rien qui vaille; à peine un refuge en cas de pluie !
Au temps de la « Belle Époque », au contraire, les pièces de Théâtre avaient encore du sens, servies par des comédiens d’immense talent comme la grande Sarah Bernhardt, Lucien Guitry et des auteurs comme Edmond Rostand. Au niveau de ces pléïades, Lenotre apporta aussi sa petite pierre à l’édifice avec Henri Lavedan. Varennes est un petit chef d’oeuvre très émouvant par son sujet; avec des interprètes de premier ordre, qui devait être un régal pour les heureux spectateurs de ce temps révolu.
Victorien Sardou
G. Lenotre évoque ainsi sa première rencontre avec celui qui fut « l’idole de toute sa jeunesse » :
« [ … ] assis à sa table dans un vaste cabinet de travail assez sombre terminé par une véranda en rotonde dans un rez-de-chaussée de la rue du général Foy [ … ] coiffé du légendaire béret de velours, un foulard blanc autour du cou, le corps serré dans une veston d’épaisse bure [ … ] s’avança avec cette affabilité pleine de bonté qu’il témoignait toujours aux journalistes et aux débutants ».
Henri Lavedan
Henri Léon Émile Lavedan est un journaliste et auteur dramatique français né à Orléans (Loiret) le 9 avril 1859 et mort à Paris le 3 septembre 1940.
Leon Daudet qui avait la dent très dure lui reprochait un gôut du mystère et des intrigues mystérieuses, d’où son goût pour Lenôtre avec qui il collabora pour la pièce Varennes (1904). Le catalogue de sa bibliothèque qu’on peut trouver sur Internet donne une idée de l’étendue de ses connaissances.
Madeleine Brohan
Cette grande comédienne, une des gloires du Second Empire, était aussi une femme d’esprit :
« Les silencieux ne sont pas forcément des penseurs. Il y a des armoires fermées à clef et qui sont vides ».
On peut rêver à cette époque lointaine où les comédiennes outre leurs talents inhérents à leur profession et leurs services horizontaux avaient en plus un très fort potentiel culturel obtenu grâce la fréquentation assidue des hommes de lettres.
Béatrice Dussane
Béatrice Dussane entra au lycée en 1899. Passionnée par le théâtre, elle est reçue au Conservatoire d’art dramatique ; elle en suit les cours le mercredi et le samedi matin. Née Dussan, elle ajoutera un « e » à son patronyme pour imiter Réjane qui s’appelait Gabrielle Réju. Un Premier prix de comédie classique couronne ses efforts le 22 juillet 1903. Elle est engagée aussitôt comme pensionnaire par Jules Claretie, administrateur de la Comédie-Française.
Le 23 septembre, elle joue Toinette dans Le Malade imaginaire. Sociétaire en 1921, elle siège au conseil d’administration de la grande maison de 1935 à 1942. Professeur au Conservatoire d’Art dramatique de Paris, elle aura comme élèves Sophie Desmarets. Robert Hirsch, Michel Bouquet, Maria Casarès, Serge Reggiani, Danie Gélin, Gérard Oury, et bien d’autres encore.
En 1954, elle était également connue pour la chronique qu’elle publiait au Mercure de France. Vers la fin de sa carrière, elle fut réalisatrice d’émissions de radio consacrées à l’histoire du théâtre : Au jour et aux lumières et Des chandelles aux projecteurs.
3. Quelques personnalités marquantes du temps de Lenôtre :
Paul Cambon
Paul Cambon, de son nom complet Pierre Paul Cambon, né le 20 ianvier 1843 à Paris et mort le 29 mai 1924 à Paris, est un diplomate francais. Il est le frère de Jules Cambon. Il suit des études de droit, obtenant un doctorat en droit civil des universités d’Oxford, de Cambridge et d’Édimbourg, puis devient secrétaire de Jules Ferry à la préfecture du département de la Seine. Il devient ensuite secrétaire général de la préfecture des Alpes-Maritimes (1871) puis des Bouches-du-Rhône (1871), préfet de l’Aube (1872), du Doubs (1876) puis du Nord (1877-1882) avant de passer dans le corps diplomatique.
Il exerce les fonctions de ministre résident de France en Tunisie du 28 février 1882 au 28 octobre 1886 et contribue à la réforme des institutions judiciaires de la Régence de Tunis avec la création du tribunal français de Tunis (27 mars 1883) et la suppression progressive des tribunaux consulaires, achevée avec la fermeture de la juridiction consulaire des Pays-Bas le 1er novembre 1884. En outre, il réorganise les services administratifs tunisiens avec la création de la ditection des Travaux publics (1882) et de celle de l’Instruction Publique et des Beaux.-Arts (1883).
La direction des Finances, créée en 1882 prend son essor à partir de 1884 en se substituant à la Commission financière de la dette tunisienne établie en 1868 pour contrôler la gestion des dépenses tunisiennes et garantir le remboursement des pays créanciers. Les conventions de la Marsa signées le 8 iuin 1883 prévoient en particulier l’émission, pour le remboursement de la dette, d’un emprunt tunisien garanti par la France. Toujours dans le domaine économique, Paul Cambon crée la Chambre de Commerce de Tunisie en 1885. Il est également à l’origine de la loi tunisienne du 1er iuillet 1885 qui instaure le principe de l’immatriculation foncière, clarifiant l’état des possessions foncières de l’époque tout autant qu’elle favorise l’intensification ultérieure de la colonisation foncière européenne en Tunisie.
Après son séjour en Tunisie, Paul Cambon devient ambassadeur de France à Madrid (1886), à Constantinople (1890) et à Londres (1898-1920). C’est là qu’il joue un rôle important dans la constitution de l’Entente Cordiale puis de l’accord russo-britannique de 1907. Au début de la Première Guerre mondiale il pousse le Rovaume-Uni à entrer en guerre contre l’Allemagne. Il quitte son poste en 1920 et est élu à l’Académie des sciences morales et politiques. Il est en outre membre correspondant de l’Académie des sciences morales et politiques de Madrid. Grand croix de la Légion d’honneur.
Gaston Calmette
Gaston Calmette, la célèbre victime de Madame Caillaux : Né à Montpellier (Hérault) le 30 janvier 1858 et mort assassiné à Paris le 16 mars 1914, est un journaliste francais. Directeur du quotidien Le Figaro à partir de 1903, il lance, en janvier 1914, à l’instigation de Louis Barthou et Raymond Poincaré, une virulente campagne contre Joseph Caillaux, ministre des Finances dans le gouvernement Doumergue.
Excédée par cette campagne, l’épouse du ministre, Henriette Caillaux, se rend à la rédaction du journal et tue son directeur de cinq coups de révolver. Le scandale entraîne dès le lendemain la démission du ministre. Gaston Calmette est le frère aîné du bactériologiste Albert Calmette (1863-1933). Marcel Proust lui dédia le premier volume d’ À la recherche du temps perdu !, Du côté de chez Swann.
6. Épilogue
Je me souviens avoir entendu dire, au temps lointain de ma jeunesse, par un académicien critiqué pour ses choix, mais élévé dans le sérail et ayant accédé à la plus haute fonction de l’éducation nationale, que Lenôtre était un écrivain, mais pas un historien, et partant qu’il écrivait des livres agréables, mais pas de l’Histoire !
On constatate que ses relations étaient fort étendues, principalement des historiens, aussi des littérateurs , parfois les deux à la fois. Le monde du théâtre est bien représenté tant par ses auteurs que par ses interprètes célèbres ; le monde politique y a peu de place et le Gotha n’est guère représenté.
De tout cela, on peut inférer que Lenôtre était d’abord un chercheur et ensuite et loin après un homme du monde. Il faut savoir aussi qu’à la fin de sa vie il souffrit d’agoraphobie, ce qui ne facilite pas les mondanités. Il se sentait probablement beaucoup mieux avec ses livres et ses personnages historiques qu’il avait si bien su ressusciter.
7. Les critiques
Peut-être par jalousie en raison de son succès littéraire prouvé amplement par les multiples éditions de ses ouvrages, les historiens brevetés SGDG ne se sont pas privés de rechercher des détails insignifiants, allant même à se tromper eux-mêmes dans la foulée de leur rage envieuse et destructrice. Ainsi Lenôtre allait essuyer les critiques de Gustave Bord, historien aguerri par d’autres combats, Aulard, le spécialiste officiel de l’histoire de la révolution française, et tant d’autres … Lenôtre, lui-même a fort bien assuré sa défense et on trouvera dans les premières pages de la quatrième série de «Vieilles maisons, vieux papiers » une « défense et illustration » de son oeuvre qui n’est pas dénuée d’humour et résume une conception de la fabrication de l’Histoire qui en vaut bien d’autres :
« Quelle est la raison de cette méfiance qu’inspire, dans un récit d’histoire, l’abondance des détails pittoresques fussent-ils les plus authentiques ? Nous avons été, dès le collègue, imbus de cette idée que l’histoire, pour être vraie, ne peut être qu’incolore et ennuyeuse. Viennent un écrivain qui, non point par goût de la fantaisie, mais bien au contraire par curiosité, par souci du vrai, recherche patiemment, au prix d’un long travail, – qu’on veuille le croire, – et d’une lente documentation, toutes les circonstances accessoires qui donnent aux faits leur véritable physionomie ; qu’il décrive, après les avoir visités, les paysages dans lesquelles ses héros ont vécus, les maisons qu’ils ont habitées ; qu’il s’ingénie à retrouver dans les paperasses notariées ou les correspondances de famille ce que furent leur entourage et leur intimité ; qu’il s’applique même à plus de minutie et il s’attarde à la couleur d’un manteau, à la disposition d’un mobilier ; doit-on, parce que les historiens ont, jusqu’à présent, pour la plupart, négligé ces détails les tenir pour faux et ranger parmi les œuvres d’imagination le récit des recueille ?
Ce bric-à-brac, dit-on, est d’ailleurs indigne de l’histoire et la travestie. Est-ce bien sûr ? À propos d’une récente tentative dramatique un éminent critique proclamait « l’importance du paysage mêlé à l’action », disait « tout ce qu’ajoute de couleur à un personnage la perception de l’atmosphère où il se meut, et combien la nature morale et la nature extérieure sont inextricablement liées ». Le drame de notre histoire, si passionné, si chaud, si turbulent et mouvementé, doit-il être présenté comme ces froides tragédies dont les auteurs ne prenaient même pas le soin d’indiquer le décor, vague vestibule de palais, sans meubles, sans accessoires, sans réalité ?
Taine ne le pensait pas : il écrivait : « la véritable histoire s’élève seulement quand l’historien commence à démêler, à travers la distance du temps, l’homme vivant, l’homme agissant, doué de passions, muni d’habitudes, avec sa voix et sa physionomie, avec ses gestes et ses habits, distinct et complet comme celui que, tout à l’heure, nous avons quitté dans la rue ».
Nul, c’est entendu, n’a réalisé ce nouveau programme, ni atteint cet idéal ; mais est-il interdit de viser le but. L’effort, parce qu’il heurte un préjugé, sera-t-il méprisable ?
Une école s’est formée qui n’accepte, comme éléments d’enquête, sur les événements de la période révolutionnaire, que les documents officiels : procès-verbaux des Assemblées, des sociétés populaires, actes des Comités de gouvernement, rapport des représentants en mission, circulaires et quelques journaux choisis, au premier rang desquels le Moniteur. Elle écarte, en bloc, comme contestables, tous témoignages personnels et privés, les dépositions devant la justice, les Mémoires, les Correspondances …
C’est la loi des suspects remise en vigueur et appliquée à l’histoire : suspect le récit du détenu qui, du cachot où il agonise, voit ses compagnons de captivité décimés par la guillotine ; suspect le malheureux qui, molesté, espionné, ruiné, émerge, la Terreur passée, de la cache où il s’est tapi, crie misère et réclame vengeance ; suspects le journal du déporté, la relation du Vendéen, les récriminations de l’immigré ; suspect tout ce qui n’est pas le mensonge officiel ; il faut s’incliner devant la parole d’un Collot d’Herbois ou d’un Billaud-Varenne, si elle a eu les honneurs du procès-verbal et du Moniteur ; mais s’il nous recueillons ce qu’ont écrit les vaincus, Barnave, Vergniaud, Camille, d’Elbée, La Rochejaquelin, si nous donnons confiance aux déclarations des amis de Danton assassiné ou des Girondins proscrits, nous serons accusés d’écouter les rancunes et de nous montrer peu scrupuleux sur le choix de nos sources . C’est non seulement la loi des suspects, celle de Prairial qu’on fait revivre : l’audition des témoins est interdite et la plaidoirie est supprimée de l’enquête historique, comme elles l’étaient au tribunal de Fouquier-Tinville.
L’Histoire ainsi traitée devient, c’est manifeste, aussi sèche et froide qu’un procès-verbal, implacable comme un verdict sans appel ; mais c’est là son moindre défaut ; est-elle vraie ? C’est contestable : on peut lire, dans son texte original, toute la correspondance de Carrier avec le pouvoir central sans y trouver mention de certains événements qui comptent pourtant dans nos annales : les noyades de Nantes. La Convention les ignorait ou feignait de les ignorer : donc nous devons les ignorer aussi. D’ailleurs y eut-il véritablement des noyades à Nantes ? Nous ne connaissons ces horreurs que par les débats du procès de Carrier, par les dépositions des malheureux qui en avaient été les témoins forcés … Suspects aussi ceux-là, sans doute ; témoignages intéressés, légendes thermidorienne, animosité de réacteurs.
Qu’un semblable ostracisme soit admissible pour la rédaction d’une histoire politique ou d’une histoire des Institutions, je l’admets sous réserve. Mais il y a une autre histoire encore : celle des individus de beaucoup plus révélatrice que l’autre :
« il n’y a pas d’autres moyens, enseignait Taine, pour connaître à peu près les actions d’autrefois, que de voir à peu près les hommes d’autrefois ».
Ceux-là ont eu, comme nous, des passions, des doutes, des colères, des scrupules, des haines, des affections intimes, des désespoirs et des joies : faut-il renoncer à les reconnaître ou ne doit-on les envisager qu’à travers les documents officiels et de façade ? Qui de nous se croirait exact exactement représenté si l’on se bornait à produire, comme éléments du portrait, son acte de naissance, ses diplômes universitaires, son livret militaire, et son acte de mariage ? N’y a-t-il pas d’autres choses dans la vie que ce qu’en révèle les pièces d’identité ?
Retrancher de l’enquête les documents intimes et personnels, les Mémoires, les Correspondances, c’est, à proprement parler, interdire l’histoire des individus, la seule qui vaut d’être écrite, puisqu’elle est la peinture de la vie et que l’autre ne sera jamais que le tableau synoptique d’une succession de projets avortés, d’utopies éphémères et de déceptions sociales.
Le présent volume se compose, comme les précédentes séries du même ouvrage, de plusieurs études intimes sur divers personnages mêlés, de près ou de loin, à l’histoire. Si leurs aventures semblent singulières, qu’on ne reproche pas, à cause de cela, à l’auteur une préférence pour l’énigmatique et l’extra-ordinaire.
Outre qu’un écrivain à le devoir de choisir les sujets qui lui apparaissent intéressants et d’éviter la banalité, le fait seul d’avoir vécu aux époques troubles de nos révolutions et pris part aux événements, donne au plus modeste comparse l’allure d’un héros d’épopée. Ceux qui ne le voient point ne savent pas regarder.
Je n’ai point appuyé les traits ni grandi les rôles. J’ai été très frappé d’une remarque de Guizot, qui ne passait pas pour un historien badin ou amateur de fariboles :
« on veut des romans, écrivait-il, que ne regarde-t-on de près l’histoire ? Là aussi on trouverait la vie intime, avec des scènes les plus variées et les plus dramatiques, le cœur humain avec ses passions les plus vives comme les plus douces et, de plus, un charme souverain, le charme de la réalité … Les êtres qui ont réellement vécu, qui ont effectivement ressenti ces coups du sort, ces passions, ces joies et ces douleurs dont le spectacle a sur nous tant d’empire, ceux-là, quand je les vois de près et dans l’intimité, m’attire et me retiennent encore plus puissamment que les plus parfaites œuvres poétiques ou romanesques ».
J’ai essayé de suivre le conseil de Guizot : j’ai regardé mes personnages de près et dans l’intimité. On me permettra d’assurer qu’aucun trait de ces esquisses n’a été placé sans réflexion et sans de minutieux examen.
Pour éviter aux lecteurs toute fatigue, j’ai cherché à dissimuler, le plus possible, l’armature documentaire et « les dessous » du travail : il m’eût été facile de multiplier les références : celles que j’indique suffiront, je pense, à montrer que, sans avoir conçu la folle ambition d’être infaillible, je me suis appliqué à ne rien avancer que de vrai et que, si modeste que soit mon apport, il est le résultat d’une lente patience et de consciencieuses enquêtes ».
8. Petite et grande Histoire
Pourquoi opposer de façon artificielle ces deux notions qui feraient croire qu’il existe une docte histoire officielle passablement ennuyeuse et uniquement réservée à des initiés, à une sorte de clan, s’étant lui-même auto proclamé avec la bénédiction des pouvoirs en place ayant le souci de promouvoir une légitimité bien douteuse pour beaucoup.
En réalité, il ne s’agit pas là d’antagonisme, mais de complémentarité. En effet pour valables que soient les études spécialisées et complexes faisant souvent appel à d’autres disciplines scientifiques, sauf à s’en priver complétement , il importe que cette complexité soit mise à la portée du plus grand nombre. Peu de savants, comme Braudel ont pu réussir à concilier des notions difficiles avec la clarté suffisante pour les rendre accessibles.
Lenôtre, avant lui, avait réussi, après des études et vérifications et recoupements de textes difficiles à trouver et encore plus difficiles à interpréter, à mettre à la portée de personnes plus ou moins cultivées des textes clairs et d’autant plus passionnants. Le public, malgré les critiques aussi fréquentes que primaires et médiocres ne s’y est pas trompé et les multiples éditions de ses livres en témoignent.
9. Bibliographie et archives
Biographie générale : https://fr.wikipedia.org/wiki/G._Lenotre
Bibliographie : https://bibliographielenotre.monsite-orange.fr/index.html
Archives Nationales Paris : Section des archives privées 641AP.
Fonds G. Lenotre : Répertoire numérique détaillé par Sandrine Lacombe avec la collaboration de Pascal.R. David
10. Annexes
1. L’Académie Française
Comme Moïse, Lenôtre n’atteignit pas de son vivant la terre promise, mais il eut quand même sa place à l’Académie Française où il fut élu en 1932 au fauteuil de René Bazin. Compte tenu de son état de santé il fut dispensé des traditionnelles visites.
2. Nécrologie
Théodore GOSSELIN, dit G. LENOTRE (1855-1935) : journaliste, il collabora à La Revue des Deux mondes et au Figaro où il écrivit ses premiers récits d’histoire. Il se spécialisa dans l’étude de la Révolution française, et publia un nombre important d’ouvrages sur le sujet, dans un style narratif et anecdotique. Cette production, même si elle est en grande partie dépassée par la recherche historique, reste agréable à lire et fourmille de détails intéressants introuvables ailleurs. Il fut élu en 1932 à l’Académie française. Parmi ses œuvres, « Le jardin de Picpus » reste l’ouvrage de référence sur l’histoire du cimetière (il est d’ailleurs encore en vente à l’entrée). Pour lui rendre hommage, il fut inhumé ici ; il est le seul résident du cimetière à ne pas avoir d’ancêtre guillotiné.
3. Conclusion
Peut on dire que Lenôtre a fait école ? Bien des historiens modernes, en tout cas se sont inspirés non seulement de ses travaux mais aussi de la forme de ses récits. Un ce deux qui a le mieux réussi dans la mouvance de cette filiation est certainement le regretté André Castelot qui lui aussi aurait largement mérité une place dans cette Académie Française dont les choix opportunistes sont parfois discutables ! C’est à lui que nous avons voulu emprunter la conclusion de cette petite étude, confondant ainsi leMaître et l’élève dans un même hommage.
II. Lenôtre et le duc de La Trémoïlle
1. Souvenirs de Lenôtre
24 décembre 1904
Il y a une dizaine de jours, au dîner de la Modestie, M. de Vaufrelan m’a dit que le duc de La Trémoïlle ne serait pas fâché de me voir pour me parler de l’article que j’ai publié le 1er octobre dans les Lectures pour Tous sur la question Louis XVII. Depuis, j’ai reçu un mot de Vaufrelan, me disant que le duc m’attendait à déjeuner avec lui aujourd’hui à midi. A onze heures, j’allai prendre chez lui, 15 rue de Lamennais, M. de Vaufrelan, et à midi, nous arrivions ensemble 4 avenue Gabriel, chez le duc de La Trémoïlle.
L’hôtel, moderne, assez simple à l’extérieur, est très vaste et superbe à l’intérieur. Dans un grand salon, de splendides boiseries Régence provenant d’un hôtel de Pomponne, place des Victoires, je crois, et attribuées à un Caffiéri. Madame de la Trémoïlle, fille de Duchâtel, le ministre de Louis-Philippe, est seule dans un salon ; elle est forte, d’aspect commun, mais intelligente.
M. de La Trémoïlle arrive, vêtu d’une sorte de complet de bure beige, l’air d’un campagnard. Il appelle sa femme ma gogo (elle s’appelle Marguerite). On se met à table, nous ne sommes que quatre. Le duc est prodigieusement sourd. Sa femme a près d’elle l’embouchure d’un cornet acoustique posé en travers de la table; quand elle a quelque chose à dire à son mari, elle prend le cornet, il tient l’autre bout, et ils causent ainsi. En déjeunant, j’apprends que le duc, qui a environ soixante-sept ans, a eu une sœur morte au début de la Révolution.
Voici comment : son père, né en 1774, a épousé à seize ans la princesse de Tarente ; en 1790, il en a eu une fille, qui est morte deux ans environ après. Veuf, il se remaria en 1811, puis une troisième fois en 1836. C’est de ce troisième mariage qu’est né le duc de La Trémoïlle actuel.
Le déjeuner fini, on revient dans le salon pour prendre le café. Madame la duchesse empoigne un tricot de laine violette et se met à tricoter, et M. de La Trémoïlle me dit que nous allons passer dans le chartrier. Nous voilà en route à travers le grand salon. A ce moment, nous voyons surgir de l’escalier un homme grand, très rouge, à barbe blanche, chemise de couleur bon marché, jaquette fripée et mal coupée – un homme de mine assez ordinaire. C’est le duc de Chartres, me souffle Vaufrelan.
On s’incline, on salue, on me présente ; le duc de Chartres rit à grosse voix; poignée de mains. La Trémoïlle dit : « Nous allons à ma bibliothèque ». Et il plante là le duc de Chartres avec Madame de La Trémoïlle sans façon. Le duc de Chartres crie : « Nous avons de belles chasses ». Ce à quoi La Trémoïlle répond : « Ça ne m’intéresse plus ! ». Et nous voilà, La Trémoïlle, Vaufrelan et moi, continuant vers la bibliothèque. Vaufrelan nous quitte à la porte. La Trémoïlle m’emmène dans son chartrier ; il m’explique les pièces qu’il juge devoir m’intéresser davantage : lettres de la duchesse de Berry, datées de Blaye ou d’ailleurs, Mémoires de la princesse de Tarente, une lettre de Louis-Philippe racontant un accident de voiture près d’Eu, etc …
Enfin, il aborde la question Louis XVII et je lui laisse la parole :
« Vous faites fausse route, me dit-il. Le Dauphin est mort au Temple, il ne peut y avoir sur ce point aucun doute. Il a été vu mort à la Tour du Temple par les personnes les mieux qualifiées pour constater son identité, par celles qui le connaissaient le plus (je souligne les mots que je suis sûr de citer textuellement) et qui en ont laissé un témoignage écrit irréfutable et indéniable. »
Monsieur le comte de Chambord me demanda un jour de m’occuper de cette question Louis XVII et me signala un endroit où je pourrais prendre communication de ces témoignages. J’appris ainsi que le Dauphin avait été enlevé du Temple, mais qu’il y avait été réintégré, et qu’il y était mort presque aussitôt après.
LE DUC: « Vous avez eu raison de dire que Madame A. et M. de C. ont été les agents actifs de l’évasion car j’ai reconnu dans ces initiales que vous avez données lady Atkins et M. de Cormier. Lady Atkins, qui a en effet pénétré chez la Reine, soit au Temple, soit à la Conciergerie, n’a pas tout su ; elle n’a été que l’intermédiaire, comme le gant de caoutchouc que l’on prend par précaution pour toucher la pile électrique. Mais Cormier a tout su, tout conduit, et c’est bien véritablement lui qui a été l’agent de l’évasion. «Le Dauphin n’est resté hors du Temple que vingt quatre heures, peut-être moins. Ceux qui l’ont sauvé ont été pris, une fois le coup fait, d’une panique irréfléchie, insurmontable, se sont vus sur le point d’être poignardés, et par terreur, ont laissé réintégrer le Dauphin au Temple, où il est mort peu de jours après, peut-être de la secousse. Le récit, très circonstancié, qui existe de ces faits, est plus dramatique que tout ce que vous pouvez concevoir. On y décrit l’enfant dans un état de maigreur et de faiblesse pitoyable. La date de l’événement n’est pas donnée à ce que je crois, mais pour moi il n’y a pas de doute qu’il eut lieu dans les premiers jours de juin 1795, presque immédiatement avant la mort, la veille ou l’avant-veille. Il y a sur ce point des lettres de Cormier très explicites. Mais le tiroir qui contient ce secret ne s’ouvrira jamais, ni pour vous, ni pour personne ». Je posai naturellement plusieurs questions à M. le duc de La Trémoïlle, et je vais tâcher de les noter ici aussi exactement que possible avec les réponses.
MOI : Êtes-vous tenu au serment, ou simplement par les convenances ?
LE DUC : J’ai été employé à une mission confidentielle par ordre de Monsieur le comte de Chambord; lui seul aurait pu me relever du secret, et il est mort sans l’avoir fait.
MOI : Je comprends bien que ce secret soit gardé, s’il était celui de l’évasion, mais pourquoi le cacher, puisqu’il est la preuve de la mort au Temple ? Ne pas le livrer, c’est faire le jeu des imposteurs et de leurs partisans. Le duc estime qu’on aurait dû, en effet, le livrer; mais qu’il n’est pas maître de le faire, ni le juge de savoir si l’on a bien agi en ne le divulguant pas. Après avoir pris la précaution de dire au duc de ne pas me répondre si la question est indiscrète, je reprends : La personne qui connaissait le mieux le Dauphin, c’est la duchesse d’Angoulême … ou la princesse de Tarente. Mais celle-ci, à cette époque, était en Angleterre. »
Le duc répond par un geste de mystère, puis il ajoute :
LE DUC: Oui, officiellement, elle était en Angleterre, officiellement … Cherchez Cormier; en cherchant Cormier, vous pouvez trouver toute l’histoire : Cormier, c’est la bonne voie.
MOI : Mon ami Frédéric Barbey et moi avons épuisé la piste Cormier ; nous l’avons suivie jusqu’à sa mort ; nous avons trouvé trace de ses deux fils ; mais ces traces sont perdues pour nous, et de sa descendance actuelle, de l’endroit où l’on pourrait retrouver des papiers, nous n’avons rien, ni espoir de découvrir rien de plus.
LE DUC : Cherchez du côté de Dijon.
MOI : Pourquoi Dijon ? Cormier avait été au parlement de Rennes, nous le voyons ensuite à Paris, puis à Hambourg; mais jamais à Dijon.
LE DUC : Cherchez à Dijon. Il y a eu là des préparatifs faits pour le passage du Dauphin qu’on devait conduire à l’étranger par la route de Bâle. Il n’est pas allé jusqu’à Dijon, certes ! Mais il y a eu là quelque chose.
MOI : Vous m’avez dit que, sans qu’aucune date n’ait été précisée, vous placiez l’évasion et la réintégration dans les premiers jours de juin 1795. La femme Simon est-elle pour quelque chose dans cette évasion ?
Le duc me répond qu’il ne sait pas.
MOI : Et les trois lettres de Laurent, ont-elles quelque rapport avec cet événement ?
A nouveau, le duc répond qu’il ne sait pas.
MOI : Nous avons la preuve que les lettres de Laurent sont non seulement authentiques, mais encore qu’elles disent la vérité sur des faits accomplis au Temple.
LE DUC : Le portrait du Dauphin que j’ai donné en héliogravure dans mon livre Mes parents, souvenirs de la Révolution, où l’enfant est représenté jouant du tambour, était accompagné d’une note de madame de Tarente ainsi conçue : « Il est faux ». On peut en conclure qu’on avait fait le portrait d’un enfant qui n’était pas le Dauphin.
MOI : Ce serait alors le portrait d’un enfant substitué ?
Le duc ne me répond pas directement : Je n’ai trouvé cette note, me dit-il, que postérieurement à la publication du portrait.
MOI : J’ai posé très nettement au parti naundorffiste la question de savoir d’où Naundorff, et après lui Jules Favre, ont eu les copies des trois lettres de Laurent, dont ils ont reconnu eux-mêmes n’avoir pas les originaux ; on m’a répondu « qu’on ne savait pas ».
LE DUC : Ces lettres font partie du dossier qui se trouve aux Archives du Vatican. Avez-vous connaissance de ce dossier ?
MOI : Non, malgré les tentatives répétées qu’a faites Frédéric Barbey, on n’a pas jusqu’à présent répondu nettement à sa demande en communication.
LE DUC : Voici l’histoire de ce dossier : il y a quelque soixante ans, il ne contenait que cinq à six pièces. Depuis 1848, il a augmenté considérablement. Il y a deux façons, voyez-vous, de voler dans les archives : par soustraction ou par addition. Ce dernier procédé est beaucoup plus coupable que l’autre. Il consiste à ajouter à un dossier des pièces fausses dont on fait état par la suite. Or le dossier Louis XVII au Vatican contient aujourd’hui seize ou dix-sept pièces. Toutes celles qui ont été ajoutées aux premières sont fausses; et c’est de là que sont tirées, en copie, les lettres de Laurent.
MOI : Ceci expliquerait pourquoi les copies que possède la famille de Naundorff, au lieu de porter les numéros 1 , 2 et 3 portent les numéros 15, 16, 17.
J’ajoute que, au cours de la conversation, le duc de la Trémoîlle m’a parlé à plusieurs reprises, avec une certaine animosité, de M. de Rougé, qui possède des documents du plus haut intérêt, et qui a signifié que personne n’en aurait la communication. Serait-ce chez M. de Rougé que se trouverait ce fameux tiroir qui ne doit s’ouvrir pour personne ? Ce n’est qu’une supposition.
Le duc m’a dit encore qu’il n’avait publié que des extraits des Mémoires de madame de Tarente, ayant été obligé de s’arrêter devant les passages les plus intéressants. Il m’a cité entre autres celui-ci : aux Tuileries, deux gardes nationaux sont en surveillance auprès du Dauphin ; l’un d’eux est connu pour être un partisan, un familier même du duc d’Orléans, ce qui fait grand’peur à madame de Tarente. L’autre, un brave royaliste, la prend à part, la rassure, et, la garde finie, lui dit : « J’ai passé tout mon temps la main dans la poche, sur la gâchette de mon pistolet ; au moindre mouvement pour s’approcher du prince, j’aurais fait sauter la cervelle de mon camarade ».
« Vous comprenez, ajoute le duc de La Trémoïlle, que ce sont des choses qu’on ne peut imprimer à cause, à cause … Et du geste, il me désigne la direction du salon, où nous avions laissé le duc de Chartres en conversation avec madame de La Trémoïlle. J’ai certainement oublié bien des petites choses, mais voilà le compte-rendu fidèle des principaux points de ma conversation avec le duc de La Trémoïlle.
Sur le cimetière Sainte Marguerite :
18 février 1904
Ce matin, à neuf heures, j’étais au cimetière Sainte Marguerite, où la Commission du Vieux Paris fait des fouilles pour constater le plus ou moins de véracité des témoignages et déclarations de Voisin, Bertrancourt et autres, concernant la sépulture de Louis XVII. Rien que de la boue glacée, des ossements, de vieux pots … Au cimetière Sainte Marguerite, M. Villars, faisant l’office de président, ralliait les membres de la Commission qui s’égaillaient dans le cimetière, en frappant avec un tibia sur une vieille casserole trouvée dans le sol. C’était macabre sous le ciel brumeux.
III. Lenôtre et le duc de La Trémoïlle : un duel à fleurets mouchetés
par Laure de La Chapelle
Cet important passage des Souvenirs de Lenôtre doit absolument être décrypté et remis dans l’ambiance des polémiques qui s’élevèrent en 1904 à la parution de ses premiers articles sur Louis XVII dans un magazine populaire. Ils remettaient en cause le sort du fils de Louis XVI, sous la plume d’un écrivain indépendant, déjà célèbre, et peu suspect d’avoir pris le parti d’un prétendant. Le danger était que cette publication touche un public trop important.
Lenôtre, fort poliment, est invité – convoqué – devrais-je dire, par le duc pour s’expliquer sur son article. Un convive importun, Vaufrelan, est bientôt écarté. Reste un invité absent à l’entretien -mais combien présent cependant. Il a le rôle de la statue du Commandeur. Il s’agit du duc de Chartres, garant des amitiés politiques et de la discrétion du duc de La Trémoïlle. C’est un premier avertissement à Lenôtre.
Le duc attaque d’emblée : l’écrivain fait fausse route, le Dauphin est mort au Temple. Et là, dans son enthousiasme à convaincre, le Duc lâche un renseignement imprudent, qu’il croit de nature à décourager le chercheur : Louis XVII a bien été sorti du Temple, (révélation inattendue, que Lenôtre va engranger, comme bien l’on pense) mais il a été réintégré aussitôt et il est mort peu de temps après. Pour assurer son affaire, le duc félicite chaudement l’historien d’avoir suivi la piste Atkins, Cormier and co … dont on connaît le triste déroulement : l’entreprise menée pendant des années par un escroc mondain pour extorquer de l’argent à une naïve Anglaise persuadée d’avoir sauvé le Dauphin.
De cette voie de garage, le duc ne craint rien : il pousse donc son invité à continuer sur cette piste. Lenôtre n’est pas dupe. Il va prendre à son tour l’offensive et commence par mettre le duc devant ses contradictions : pourquoi garder le secret, s’il est la preuve de la mort au Temple ? Recul du duc : il n’est pas juge de la question . Il attaque à nouveau : cherchez Cormier, c’est la bonne voie. Lenôtre : la piste Cormier est sans issue. Le duc parle trop et commet encore une imprudence : cherchez du côté de Dijon. Avec un recul : il n’y est pas allé, certes (il ne s’agirait pas de démentir sa mort !) Mais, en voulant s’expliquer, il donne un autre renseignement important : la route de Bâle.
Lenôtre ne relève pas, sans doute parce que, à cette époque, ce renseignement est inattendu et qu’il faut le contrôler. Il attaque alors sur la femme Simon, les lettres de Laurent, questions auxquelles le duc ne répond pas, visiblement parce qu’il ne sait rien sur ces sujets. Un portrait de Louis XVII connu du duc introduit une question sur la possibilité d’une substitution. Nouvelle esquive de La Trémoïlle, qui fait dévier le sujet. Par contre, et pour reprendre l’offensive, le duc attaque les vols dans les Archives et très subtilement, les vols par addition, plus que par soustraction. Fin du débat, petite histoire sur la princesse de Tarente pour détendre l’atmosphère et rappel insistant de la présence du duc de Chartres.
On doit être reconnaissant à Lenôtre de nous avoir relaté cette intéressante visite : car son interlocuteur – qui voulait le conduire sur une fausse piste – s’est laissé entraîner, dans le feu du débat, à révéler avec bien des circonlocutions, une petite partie de l’énigme. Mais c’est à notre époque, et non en 1904, que l’on peut, grâce à de nouvelles découvertes, retrouver la fameuse piste de Bâle et la vraie/fausse sortie de Louis XVII de la Tour du Temple.